Des Montagnes Vivantes Pour un Monde Plus Harmonieux !

Le Manifeste d'Oloron

Des montagnes vivantes pour un monde plus harmonieux

MANIFESTE D’OLORON
 
Programme d'action
1er octobre 2010

Nous, représentants des populations des montagnes du monde (*), réunis à OloronSainteMarie (Pyrénées, France), du 25 septembre au 3 octobre 2010, nous adressons à la communauté internationale, aux gouvernements nationaux et pouvoirs locaux, à nos soeurs et frères des villes, des plaines, des campagnes, des littoraux, pour leur dire que nos montagnes sont vivantes, ouvertes et unies dans leur diversité.
Le temps des montagnards est venu!

Plus que jamais, le monde a besoin des montagnards: de notre fierté, de notre liberté et indépendance d'esprit, de nos identités, de notre respect pour la terre, de nos spiritualités et de notre diversité culturelle, de notre dignité dans l'épreuve, de nos savoir-faire, de nos valeurs d'efforts, d'entraide et de partage. Nous voulons mettre notre savoir-être au service du vivre-ensemble.
La crise mondiale que nous subissons aujourd'hui (crises financière, alimentaire, climatique, conflits militaires, oppression des peuples autochtones) est un monstre engendré par les économies néolibérales et spéculatives qui sacrifient les territoires au pouvoir de la finance et détruisent l'environnement. Cette crise ouvre un nouveau champ des possibles, un nouvel espace de propositions et de mobilisation pour repenser l'organisation de nos sociétés et donner un sens plus humain à la mondialisation.
Le « Manifeste d'Oloron » est notre réponse collective que nous porterons dans tous les espaces de réflexion et de décision.
 
I . Responsabilité : Nous, montagnards du monde, revendiquons la responsabilité de la préservation et de la valorisation de nos territoires, de la biodiversité et des ressources naturelles. Et nous nous engageons à promouvoir des modalités de gestion et d'usages qui bénéficient aussi bien à nos communautés et nos peuples qu'à la société dans sa diversité. Habitués aux difficultés de l'altitude, de la pente, du climat, des sols fragiles, nous savons ce qu'il en coûte de travailler pour la survie de nos familles et de nos communautés. Nous savons mieux que quiconque gérer en biens communs et enrichir nos terres, les paysages, le patrimoine légués par nos ancêtres et empruntés à nos descendants. Nous avons prouvé au cours des millénaires que nous sommes capables de nous organiser, de produire en commun et d'échanger avec les habitants de la plaine, de transformer l'environnement sans le détruire.
Nous sommes libres de choisir nous-mêmes nos modes de développement et de refuser ceux que l'on veut nous imposer de l'extérieur. Les montagnards ont toujours été à l'avant-garde du développement équitable et durable et n'ont pas de leçons de gouvernance à recevoir de la part de ceux qui ont détruit la nature.
 
II. Solidarité : Nous, montagnards du monde, sommes solidaires de tous ceux d'entre nous, hommes, femmes et enfants, qui sont outragés, victimes de différentes formes de violences, répressions racistes, guerres civiles... Ils sont aussi victimes de la marginalisation culturelle et politique, du pillage des ressources. Nous dénonçons les fausses accusations criminelles portées contre les peuples autochtones parmi lesquels le peuple Amazigh et en particulier les Touaregs, les Mapuches, les communautés autochtones de l'Himalaya. Il faut que cesse cette répression qui nie les cultures et les langues de ces populations, et les prive de leurs droits et biens communs. Dans ces Etats, nous demandons l'application de la Déclaration des Droits des Peuples Autochtones adoptée par l'ONU en 2007. Les peuples originaires des montagnes, leur autonomie, leurs identités, leurs territoires sont une richesse pour le monde ; leur destruction est un crime contre l'Humanité. Leur patrimoine historique, leurs langues et cultures doivent être reconnus, préservés et enseignés. Nous demandons à la communauté internationale de protéger ces peuples parmi les plus menacés au monde.

III . Civilisation : Nous, montagnards du monde, offrons face à l'ancien monde qui s'écroule un projet alternatif de civilisation. Celui-ci se nourrit de l'interaction entre l'homme et la nature, de l'histoire de nos peuples, de nos cultures et différences. Il s'enracine dans des territoires vivants que nous refusons d'abandonner, de diviser et de réduire à leur seule fonction de production. L'air, l'eau, les forêts, les minerais, les sols ne sont ni illimités ni inépuisables. Nous revendiquons le droit de contrôler nos terres, territoires et ressources naturelles tout en instaurant un dialogue égalitaire en termes de droits entre les montagnes et les plaines. Nous construisons un projet global de territoire, axé sur le développement durable et équitable et la récupération et diffusion de la notion de bien commun.
 
IV. Agenda : Pour réaliser ce projet, nous, montagnards du monde, portons les actions et initiatives suivantes:
 
a) Montagne nourricière et produits de montagne : La qualité et la valorisation de nos produits agricoles, artisanaux sont au coeur de nos défis. La montagne doit nourrir en priorité ses filles et fils pour qu'ils continuent à vivre dignement sur leurs territoires tout en participant à l'alimentation de qualité du reste du monde. Nous devons nous organiser pour conserver les savoir-faire traditionnels, sagesse spirituelle et traditions orales de chaque montagne, de chaque massif, continuer à les adapter pour mieux les transmettre aux générations futures. Nos priorités sont de former nos jeunes, de proposer des produits et des services de qualité qui valorisent nos identités et nos pratiques et de développer des circuits de commercialisation plus justes et équitables. Dans les trois années à venir, nous allons construire ensemble, dans les principaux massifs du monde, des Centres régionaux de coopération et d'échange sur les métiers et savoir-faire de la montagne. A cette fin, nous allons mutualiser nos expériences et projets ainsi que nos recherches de financements.

b) Biodiversité et diversité culturelle : Nous refusons la financiarisation et la privatisation de la biodiversité et des ressources naturelles que l'on veut nous imposer à grande échelle sous l'appellation des « services environnementaux ». N'ayant pas de prix, nos territoires ne sont pas à vendre! La faune et la flore de nos territoires sont source de vie et non de profits. Aujourd'hui nous savons que la communauté internationale essaye d'instrumentaliser la protection de la biodiversité au profit de produits financiers et d'intérêts de grandes entreprises. Nous dénonçons la Conférence de Nagoya (octobre 2010) qui vise à vider de sa substance la Convention internationale sur la diversité biologique. Nous combattons les politiques de protection intégrale de l'environnement par les parcs et aires protégées lorsqu’elles excluent les populations de leurs territoires au nom de la conservation de cette biodiversité. Nous refusons le mouvement global qui cherche à nous imposer les OGM qui menacent la biodiversité et nos semences traditionnelles et visent à rendre esclaves des multinationales de l'agrochimie. Nous opposons à ces idéologies notre modèle de gestion patrimoniale en biens communs. Pour nous, populations des montagnes du monde, la biodiversité s'entend aussi comme la diversité humaine de nos territoires qui s'exprime à travers nos langues, cultures, chants, architectures, toponymies...

c) Cultures déclarées illicites: La criminalisation des populations de montagne productrices de cultures classées illicites doit cesser. Dans le prolongement du Forum Mondial des Producteurs de Cultures Déclarées Illicites de Barcelone (2009), nous poursuivons notre combat pour la dépénalisation de la feuille de coca et la prise en compte des conditions sociales et géographiques des paysans cultivateurs de cannabis et de pavot. Nous porterons un Observatoire des Producteurs de cultures classées illicites afin de pouvoir témoigner de notre point de vue, de nos analyses et études dans les instances internationales chargées d'interdire ou d'autoriser ces cultures.
 
d) Charte des ressources naturelles : Nous allons agir à tous les niveaux pour récupérer la maîtrise de nos ressources et redevenir maîtres de notre destin. Pour nous, la gestion des territoires s'articule à une vision du monde politique, culturelle ou spirituelle. En nous appuyant sur les principes de la Charte des Populations des Montagnes du Monde de Quito (2002), nous décidons d'engager l'élaboration de la Charte mondiale « communautés, ressources naturelles et territoires » que nous adopterons en 2011 au terme d'un processus collectif de corédaction. Avec cette Charte, nous proposerons une nouvelle génération de droits et de responsabilités axés sur la relation entre les hommes et les territoires, à la croisée des Droits de l'Homme et des Droits de la Nature.

e) Changement climatique: Nous ne voulons plus être les victimes de l'« injustice climatique » qui nous fait subir de plein fouet les conséquences du changement climatique (fonte des glaciers, raréfaction de l'eau et inondations) alors que la responsabilité en incombe aux pays du Nord, aux industries polluantes et aux agricultures productivistes. Dans la continuité de la Conférence des Peuples contre le Changement Climatique et les Droits de la Terre Mère de Tiquipaya (Bolivie, avril 2010), nous travaillerons à l'expression des populations de montagne sur ce sujet dans toutes les instances nationale et internationale, ainsi qu'au sein de la Conférence des Nations Unies sur le Changement climatique où nous favoriserons une Alliance des Pays de Montagnes. Ce n'est pas aux montagnards de compenser et de payer le prix des impacts du changement climatique mais bien aux sociétés et aux modèles économiques responsables par leurs excès de cette crise.

f) Projets miniers, barrages, accaparement des terres et tourisme de masse: Les communautés locales luttent de toutes leurs forces en Amérique Latine, en Afrique, en Asie, en Europe contre des projets qui exproprient, spolient les populations locales, détruisent la santé des hommes et l'environnement au nom de la course aux ressources naturelles et du « développement » de nos territoires. Nous refusons le tourisme de masse qui folklorise et instrumentalise nos identités et cultures là où nous recherchons l'échange et la rencontre avec l'autre. Nous sommes préoccupés par le phénomène mondial d'accaparement des terres porté par certaines élites et multinationales qui cherchent ainsi à obtenir des « crédits carbone », développer les monocultures d'exportations, la production d'agrocarburants ou encore s'approprier de nouveaux espaces pour des chasses privées. A l'opposé de ces pratiques, nous voulons des investissements utiles pour nos peuples et communautés: constructions d'hôpitaux, d'écoles, services sociaux de base... Sur ces thèmes, nous construirons un programme d'activité en 2011-2012 en s'alliant avec d'autres organisations et réseaux, afin de donner une visibilité aux conflits au moyen de conférences, de mobilisations de l'opinion publique nationale et internationale, de résistances juridiques, et de propositions alternatives...

g) Partage équitable des richesses nationales: Nous n'exonérons pas les gouvernements nationaux des devoirs
permanents qui leur incombent: assurer sur tout le territoire la présence des services publics essentiels – l'éducation, la santé, les moyens de communication, une justice équitable... Cet objectif ne peut être atteint que par une péréquation des ressources nationales, seul moyen de compenser les handicaps de fait, que les territoires de montagne sont les premiers, et souvent les seuls, à assumer.

h) Rio + 20: Depuis l'Année Internationale de la Montagne en 2002, la communauté internationale a renoncé à se mobiliser pour améliorer les conditions de vie des gens de la montagne. Nous estimons que la politique de la montagne au sein de la FAO n'a pas eu les moyens suffisants pour donner des réponses concrètes et efficaces à nos attentes. Le cadre institutionnel du développement durable des territoires de montagnes doit être repensé et reformulé. Nous serons présents pour faire entendre notre voix et nos propositions lors du prochain Sommet de la Terre à Rio en 2012. Concernant l'Agenda 21, le grand enjeu pour les montagnards est de réécrire le Chapitre 13 sur la gestion des écosystèmes fragiles à partir de notre Charte « communautés, territoires et ressources naturelles ».

V. ENGAGEMENT: La 3ème Rencontre Mondiale des Populations de Montagnes est la première action de cet engagement collectif porté par l'APMM. Le lundi 4 octobre, nous remettrons le Manifeste d'Oloron aux délégations permanentes des Etats membres de l'UNESCO à Paris. Déterminés, unis et solidaires, nous sommes tous mobilisés sur nos territoires, au sein de nos organisations respectives, pour interpeller les gouvernements locaux et nationaux, les institutions plurinationales, la communauté internationale afin que se concrétisent les propositions contenues dans notre Manifeste.
 
Adopté à Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées, France), le 1er octobre 2010
 
Le Président de l’APMM,
Jean LASSALLE
Député des Pyrénées Atlantiques
 
(*) Pays représentés à Oloron :
AFRIQUE : Afrique du Sud, Algérie, Cameroun, Lesotho, Libye, Madagascar, Mali, Maroc, Niger, Rwanda, Tanzanie, Tunisie, Zambie
AMERIQUE : Argentine, Bolivie, Chili, Colombie, Etats-Unis, Equateur, Guatemala, Pérou
ASIE : Bhoutan, Chine, Inde, Népal, Pakistan
EUROPE : Andorre, Espagne, France, Italie, Russie, Suisse